4 pratiques pour faciliter la collaboration dans un environnement institutionnel [étude de cas: inauguration de La Base]

C’est sur invitation de l’équipe de La Base qu’Alyssa et moi même contribuons à la conception et l’animation de sa journée de lancement.

La Base, c’est un projet de laboratoire inter-institutionnel. Ses objectifs? Améliorer la collaboration entre les services déconcentrés de l’état et les collectivités pour expérimenter de nouvelles méthodes. Et élaborer des solutions innovantes en simplifiant les relations avec les usagers. Les pilotes du projet sont le SGAR Nouvelle Aquitaine, la DREAL Nouvelle Aquitaine, Bordeaux Métropole (service Innovation) et le Département de la Gironde (service Agenda 21).

Plutôt qu’une inauguration classique, l’événement s’est voulu comme une démarche de coconstruction du laboratoire.

Nous voici donc le 30 juin 2017, dans le grand hall du Conseil Départemental de Gironde. Environ 80 participant-e-s sont présent-e-s. Voici quelques une des pratiques et des analyses personnelles que je souhaitais partager avec vous.

Astuce n°1: rendre visible les deux cultures plutôt que de forcer une culture collaborative

Dans les cultures collaboratives – comme les fablabs, les communautés de l’opensource, … –  la cocréation est favorisée. Lorsque quelqu’un rencontre un problème, il lève la main, énonce à haute voix son problème ou l’inscrit sur un mur. Des équipes compétentes se forment. On prototype, on essaye. L’erreur est appelée feed-back. On résout le problème. Il n’y a parfois pas d’objectif en dehors de résoudre le problème. On coapprend ensemble. Ces organisations sont fluides pour réaliser des tâches créatives.

Dans la culture institutionnelle, l’organisation est basée sur des missions, des rôles. La culture est à la prédiction. On fait des plans. On définit des objectifs. On met en place des process. On évite les prises de risques, de faire des erreurs. Chacun a des rôles précis. Ces organisations  sont adaptées pour gérer des tâches répétitives dans un environnement prédictif. Comme pour certaines missions de gestion des territoires.

L’expression même laboratoire institutionnel me semble singulière et osée. Laboratoire + institutionnel. C’est un beau pari. Aussi, je souhaitais partager avec vous quelques pratiques qui vous seront – peut être – utiles.

Exemple de pratiques potentiellement bloquantes [général]:

  • demander aux agents de se tutoyer … alors qu’ils ne se connaissent pas encore. Vous pouvez le faire. Seulement attendez vous à ce qu’ils se présentent selon leurs usages [tour de parole, missions, …] durant les ateliers
  • croire que l’on peut ordonner “faites du collaboratif”
  • chercher à remplacer les codes de la culture institutionnelle par des codes de cultures créatives/collaboratives. C’est tentant. Et ça ne marche pas dans le long terme.

Exemple de pratiques potentiellement facilitantes:

  • la culture collaborative est pertinente pour travailler sur des choses nouvelles. Pour créer. Pour aller ailleurs que là où nous sommes déjà allés. La culture par missions est pertinente pour travailler sur des actions dont on peut prédire la mise en place. Une culture n’est fondamentalement pas meilleure que l’autre. Et à ce titre elle ne devrait pas dominer l’autre. C’est en fonction de la nature des tâches à réaliser (créatives ou prédictives) que nous devrions choisir notre culture.
  • je n’hésite pas à parler avec humour d’habilité à jongler d’une culture à l’autre. Je rappelle que c’est ce qu’ils [les agents] font déjà quotidiennement.
Thomas Wolff: facilitateur, médiateur territorial

Animation d’ateliers spécifiques lors de la journée, analyses & auteur de l’article: Thomas Wolff

Alyssa Daoud: facilitatrice - Bordeaux - Nouvelle-Aquitaine

Co-construction du design général de la journée, en lien avec l’équipe d’organisation La Base: Alyssa Daoud

Astuce n°2: l’émulation et la durabilité reposent sur l’intérêt. L’intérêt ne se force pas.

Pour la qualité des contributions et de l’émulation, que proposeriez vous dans la situation suivante:

Dix ateliers sont organisés en simultané. Chacun permet d’accélérer le projet d’un agent qui présente une problématique. Voici différentes propositions:

  1. les participants peuvent aller à l’atelier qu’ils souhaitent. Il y a un nombre de places identiques à chaque atelier. Une fois que l’atelier est plein il est plein.
  2. les participants peuvent aller à l’atelier qu’ils souhaitent. S’il y a 15 personnes à un atelier et 2 à l’autre, c’est très bien. Et s’il n’y a personne à un atelier, il est annulé.
  3. les participants peuvent proposer le jour même des problématiques à accélérer. Puis des ateliers sont organisés en conséquence.
  4. les participants doivent s’inscrire en amont de la journée, pour des ateliers déjà prédéterminés.
  5. les organisateurs ont choisi les thématiques qui seront proposées et quels participants participent à quel atelier

Chacune de ces hypothèses provoque un tout autre résultat. En terme d’émulation et de qualité des contributions.

Mais à vrai dire, pour moi, l’intérêt d’un laboratoire n’est pas que lié à la qualité des contributions. Il est question d’individus. De l’évolution de la fonction publique. De sa capacité d’adaptation, à produire un service public de qualité. Or, la fonction publique est composée par des individus.

L’évolution des pratiques – de la culture – ne peut pas se faire à force d’éducation à la collaboration. On ne force pas la collaboration. Il s’agit d’une conséquence naturelle de l’intérêt que des individus y voient. Vous pouvez la contraindre, l’obliger, mais elle s’épuisera. Un peu comme des événements stimulants dont l’émulation retombe une fois que l’on retourne dans son travail de tous les jours.

Collaborer n’est pas facile. Un mythe social commun est que – sans se connaître – on devrait arriver à collaborer et être productif de suite. C’est bien plus complexe que cela.

Exemple d’une parole potentiellement facilitante:

“Il y a trois types de temps durant cette inauguration. 1. Les temps formalisés: il y a un timing, des ateliers, … ils commencent à l’heure et finissent à l’heure. Ils rythment la journée et sont comme des jalons. Ils sont optionnels. 2. Les temps informels: il y a un café, des tables et des chaises, les couloirs, … cet événement est là pour vous et il est fait avec vous. Si vous jugez qu’il est préférable de mettre 2 personnes en relation, vous avez l’espace pour le faire. 3. Puis il y a vos contributions – ce que vous apportez aux autres, qu’ils soient citoyens ou agents. C’est un temps qui dépasse amplement le temps de cet événement.”

Document de travail

Un guide des temps formels animés (méthodes, approches, tempo), fourni sous la licence Creative Commons  BY-SA.

A télécharger en format pdf ou modifiable (fichier docx, compatible libreoffice et word).

Astuce n°3: jouer la transparence et utiliser des mots exacts pour décrire la forme de participation proposée

A quel niveau impliquerez vous durant votre événement?

  1. Information > les participants sont informés. Ils assistent à des conférences. Ou à des présentations.
  2. Consultation > l’avis des participants est récolté. Une pratique souvent camouflée avec le mot “participation”.
  3. Concertation > des pistes d’action sont coconstruites avec les participants. Dans la concertation on fait avec et non pour.
  4. Codécision > les participants décident des pistes d’action choisies. Aussi nommé négociation.

En travaillant avec l’équipe de La Base, il était clair dès le début que leur choix s’orientait dans une stratégie de concertation avec les agents. Les propositions finales pour La Base devaient être coconstruites. Si des idées générales avaient été proposées, elles étaient ouvertes.

Curiosité: le phénomène de l’allergie au post-it

Certains agents sont réfractaires au fait d’utiliser des post-its de couleur. Le phénomène est surprenant au point qu’il est arrivé qu’on me demande parfois d’utiliser des feuilles en papier et non des post-its multi-couleurs. En sachant que la mono-couleur fonctionne. Qu’est-ce qui se cache derrière? S’agit-il de concertations à répétition dont les résultats n’ont pas été pris en compte? La symbolique du jeu donne t-elle un aspect “non sérieux”? Je n’en suis pas trop sûr.

Avez vous prévu de faire pour ou avec?

Si votre intention est de faire avec [les agents] plutôt que pour et à la place [des agents], alors rendez le visible. Il est important que les agents sachent ce que deviendront leurs contributions. Qu’il ne s’agit pas une “énième consultation” camouflée en “participation”. Si c’est une consultation, rendez le visible. Si c’est une concertation, rendez le visible. Si certains ateliers sont des ateliers de codécision, rendez le visible.

Accélérateurs de projets
Des accélérateurs de projets. Durant ces ateliers, un porteur de projet qui bloque sur une situation va consulter d'autres participants sur des pistes de solutions qui pourraient débloquer sa situation.
Atelier de coconstruction des valeurs avec le facilitateur Thomas Wolff
Un atelier de concertation. Les participants sont invités à s'exprimer sur la raison d'être de La Base et à coconstruire des futurs souhaitables. Voir l'astuce n°4.

Astuce n°4: faire attention dans la formulation des “objectifs”

Vu et revu au cours de ces dernières années.

De base, les organisateurs [d’un événement institutionnel] définissent des objectifs, une stratégie générale

J’ai souvent rencontré des organisateurs qui, en définissant des objectifs, souhaitaient qu’ils résolvent des problèmes opérationnels de terrain. Souci d’utilité.

J’ai aussi parfois rencontré des organisateurs qui étaient à la recherche d’actions de terrain pour justifier leurs objectifs, la stratégie qu’ils avaient imaginé. Si le problème des organisateurs est qu’ils n’ont pas de problèmes concrets pour justifier leurs objectifs, j’ai tendance à dire que c’est très gênant.

Parfois, des organisateurs ont posé une stratégie et en même temps ils aimeraient bien coconstruire les objectifs avec les participants. Alors la plupart du temps, ce qu’ils font, c’est de poser des objectifs assez larges pour que tout y rentre. Et dans la fonction publique tout le monde y semble habitué.

Parfois, les organisateurs ont des objectifs, mais pas d’actions concrètes. C’est gênant. Cela signifie que la démarche est hors-sol. Que rien n’a été demandé par les acteurs du terrain. Et ce sont souvent ces organisateurs qui convoquent les agents.

Parfois, les organisateurs définissent des objectifs (et des sous-objectifs) très précis. Tellement précis que le spectre des actions est réduit. Le risque avec une telle pratique est que seules les choses qui pouvant être imaginées par les organisateurs sont possibles. Pas de place aux actions qui dépassent ce que les organisateurs sont capables d’imaginer.

Et parfois, les organisateurs souhaiteraient faire de la concertation. Et ils se trompent en faisant de l’information (conférences, tables rondes) et de la consultation. Faire un laboratoire dans un amphithéâtre peut être un exemple de cette erreur.

Exemple d’une pratique potentiellement facilitante:

Durant l’inauguration de La Base, j’ai imaginé et animé un atelier de “vision” pour rendre visible la stratégie souhaitée par les agents. Une démarche peu commune dans la fonction publique. Habituellement, les organisateurs s’arrangent pour que les agents proposent des actions, des idées… dans la limite des objectifs définis par les organisateurs. Les organisateurs s’imaginent qu’il y a un risque à questionner les objectifs, la raison d’être du laboratoire.

Cependant, dans la démarche de faire avec et non pour les agents, c’est la moindre des choses que d’être sensible à leurs aspirations, ce vers quoi ils veulent aller.

Et c’est que nous avons fait durant l’inauguration de La Base.

Cet atelier a pris place dans le grand hall. J’ai demandé aux agents intéressés – soit environ une cinquantaine sur 45  minutes:

« Pour vous (qui en êtes ces futurs utilisateurs), La Base serait une initiative sérieuse et puissante si … » « Quels sont les critères qui feraient que vous seriez satisfaits de vous y impliquer ? »

Je vais clore cet article en vous partageant les résultats de ce travail. Ils sont qualitatifs et non quantitatifs – c’est à dire que nous n’avons pas d’idée précise du nombre d’agents qui partagent les mêmes préoccupations. J’aurai pu le faire en ayant plus de temps.

Pour nous, La Base …

 

La Base : sa raison d’être

Nous serions heureux et fiers de nous impliquer à La Base si la culture du lieu était 100 % tourné vers :

  • les usagers finaux du service public, autrement dit si la culture était tournée vers notre mission d’intérêt général
  • les agents, leurs parcours professionnels, leur mobilité, et le soutien de leurs initiatives en interne

La Base, un lieu dont nous aurions spécifiquement besoin pour

  • nous retrouver dans un espace politiquement neutre pour négocier la répartition des ressources (humaines et financières) dans le cadre de projets inter-services ou inter-institutions
    • dans la répartition des ressources humaines, il était par exemple entendu : « Qu’on se mette d’accord ce sur quoi chacun va travailler, et ceci pour ne pas se rendre compte que finalement on a été 3 services différents à concevoir la même brique. »
  • avoir à notre disposition une réelle ingénierie pour vérifier l’utilisabilité de nos conceptions
    • « lorsqu’elles sont conçues pour les usagers du service public, qu’on puisse vérifier l’utilisabilité de nos conceptions avec ces usagers »
    • « lorsqu’elles sont conçues pour des agents, qu’on puisse vérifier l’utilisabilité de nos conceptions avec ces agents directement »
    • « il est important les projets qui bénéficient d’un soutien à La Base soient concrèts (répondent à des besoins ou problèmes opérationnels), soient évaluables et évalués »
  • prendre de la hauteur sur nos pratiques quotidiennes
    • « nous souhaitons découvrir des projets inspirants et leur analyse [de ce qui a fait qu’ils ont réussi] »
    • « nous avons besoin d’un lieu pour nous retrouver entre praticiens sur une thématique précise. Pour échanger des bonnes pratiques. Pour avoir un champ élargi. Cela peut prendre la forme d’accélérateurs comme nous l’avons fait ce matin »
    • « nous avons besoin de sortir des groupes de travail organisés classiquement pour prendre de la hauteur sur nos pratiques. Je rêve pas exemple de travailler sur un projet numérique sans présence de la DSI »
  • avoir un espace / une communauté « légitime et légitimée » pour transmettre sans censure nos innovations
    • « que nous puissons y partager facilement nos idées d’innovations. Sans avoir besoin d’être autorisé par la hiérarchie. Mais en nous autorisant nous-mêmes »
    • « que nous puissions partager facilement l’évolution de nos projets à une communauté [qui soit en même de les apprécier] »
    • « que nous puissions partager facilement des ressources, par exemple sur un wiki [très spécifiquement, il a été question de la technologie yeswiki] »

La Base, un cadre de travail particulier reconnu et légimité par les niveaux hiérarchiques

    • « que nos DGs, afin de soutenir le processus, nous invitent régulièrement et officiellement à participer aux activités de La Base [et à prendre l’initiative d’y participer] »
    • « nos directeurs et élus viennent travailler opérationnellement avec nous sur des projets concrèts. Et ceci autant pour faire passer le message que la hiérarchie a donné son aval que pour légitimer la culture du prototypage ou de la collaboration inter-niveaux hiérarchiques. »
    • «notre hiérarchie doit nous autoriser à nous y consacrer [dans nos heures de travail]. La Base doit être perçue comme un cadre de travail particulier qui nous permet d’accélérer des projets dans un sens que notre cadre de travail régulier ne nous permettra sûrement pas. »

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